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35 heures, école, immigration, mariage homo: François Fillon avance ses propositions.
Comment se ressourcer après cinq ans passés à Matignon, sans prendre le temps de s’éloigner du devant de la scène publique, sans prendre le temps d’analyser, de réfléchir, de se renouveler ?
Le principal moteur de mon engagement aujourd’hui, de mon énergie, c’est la campagne présidentielle et législative. J’ai fait plus de 50 meetings à travers tout le pays. J’ai ressenti une attente des militants et des sympathisants de la droite extrêmement forte à mon égard. Autrement dit, j’ai touché du doigt une confiance qui, jusque-là, était abstraite et qui était souvent présentée par les analystes comme une popularité par défaut. Les militants me faisaient passer un message: « On compte sur vous, ne nous lâchez pas! » J’ai compris alors qu’il me fallait répondre à cette attente. C’est vrai que j’avais envisagé l’après-Matignon différemment, plutôt comme du repos, de la réflexion, de l’écriture, des voyages.
Une défaite comme celle que vous avez connue en mai n’appelle-t-elle pas un inventaire de ce qui a été réussi et de ce qui ne l’a pas été ?
Après mon accident, j’ai eu la chance, si l’on peut dire, de passer un mois chez moi, dans la Sarthe, et j’en ai profité pour travailler, lire, réfléchir. Mais vous savez, même à Matignon je n’ai jamais cessé de m’interroger sur ce qu’on aurait pu faire, ce qu’on devrait faire, ce qu’on n’a pas réussi à faire.
Dans quels domaines la mutation idéologique de la droite reste-t-elle à accomplir ?
Dans le passé, la gauche a nié la crise et la droite pensait avoir le temps de faire les réformes sans bousculer une société française peu consciente des changements du monde. On a tardé depuis 20 ans à prendre des décisions énergiques pour maintenir la France dans le peloton de tête des pays industrialisés. Aujourd’hui, nous n’avons plus le choix. Nous sommes dans une situation d’urgence qui exige des mesures fortes et rapides. Elles ne peuvent être homéopathiques.
A la place du gouvernement, je proposerais un vrai choc de compétitivité avec, simultanément, une hausse du temps de travail, une baisse des charges sociales financée par une hausse de la TVA et une diminution des dépenses publiques, une réforme de l’indemnisation du chômage et des mesures de simplification comme l’augmentation de 50% de tous les seuils sociaux. Cette dernière mesure aurait pour effet immédiat de booster l’économie française. Et, enfin, j’enclencherais la convergence de la fiscalité des entreprises avec celle de l’Allemagne. L’addition de ces décisions est la seule façon d’envoyer le signal fort au reste du monde que la France est en train de changer pour se relancer.
Vous est-il arrivé de vous opposer à Nicolas Sarkozy sur l’intensité des remèdes à apporter ?
Il ne faut pas croire qu’on se levait tous les matins en étant en accord sur tout. On avait parfois des points de vue différents. Nicolas Sarkozy a une grande qualité: c’est quelqu’un qui aime le débat argumenté et il pouvait changer d’avis.
Pourriez-vous rejoindre François Hollande sur sa politique européenne ?
Non, car François Hollande a fait une erreur fondamentale: il n’a pas compris la nécessité absolue d’un accord avec l’Allemagne. Il a cru qu’en s’en prenant à Angela Merkel, il s’en prenait à la droite allemande, alors qu’il s’en prend au peuple allemand.
Vous voulez supprimer les 35 heures. La durée maximale de travail hebdomadaire sera-t-elle donc de 48 heures, comme le stipule une directive européenne ?
Bien sûr que non. Pour supprimer les 35 heures, je propose deux solutions. La première, qui donne toute sa place au dialogue social, est de supprimer la durée légale et de la remplacer par une obligation d’accord majoritaire dans chaque entreprise. Cette solution permettrait de prendre en compte les besoins de l’entreprise et la pénibilité du travail. Ce n’est pas la même chose de travailler à la chaîne dans un abattoir ou dans un bureau. L’autre solution, c’est d’augmenter le temps de travail de deux ou trois heures pour tous.
En août 2011, j’avais d’ailleurs proposé à Nicolas Sarkozy de passer à 36 ou 37 heures pour renforcer la compétitivité de notre économie. Nous avons finalement retenu l’accélération de la réforme des retraites. Dans la crise que nous traversons, les Français doivent savoir que, si on n’augmente pas la durée du travail pour être plus productif, les salaires baisseront mécaniquement. Pour préserver le pouvoir d’achat, il faut impérativement augmenter le temps de travail.
Vous prônez une réorganisation de l’école. Faut-il, pour que les professeurs soient mieux payés, qu’ils travaillent davantage ?
L’école, c’est l’échec de tous les gouvernements successifs. Tous les ministres veulent à leur tour refonder l’école, on la refonde tellement qu’elle ne change jamais! J’ai des idées très précises sur le sujet. Je voudrais d’abord qu’on réorganise l’école autour d’établissements ayant une réelle autonomie, dotés d’un vrai « patron » avec des pouvoirs disciplinaires et de gestion, y compris sur ses équipes enseignantes. Je souhaite également un large assouplissement de la carte scolaire pour permettre une grande liberté de choix aux parents.
Il y aura, de fait, une émulation contrôlée entre établissements, sans pour autant tomber dans le tout privé, qui rallumerait à juste titre la guerre de l’école. Il faut aussi réintroduire des symboles pour instaurer de l’autorité et des règles. Il faut pouvoir sanctionner les familles irresponsables vis-à-vis de l’absentéisme scolaire; écarter les délinquants de l’espace éducatif; garantir une école sans drogue. Je veux que les élèves se lèvent pour l’entrée du professeur. Je suis favorable à une certaine forme d’uniforme à l’école, qui marque l’égalité de tous les enfants. Ce sont des symboles, mais ils participent à un climat de respect et d’autorité dont l’école a impérativement besoin.
Comme d’autres, vous voulez recentrer l’école sur ses missions fondamentales. Comment ?
J’ai essayé de le faire en 2004 et je reconnais que j’ai partiellement échoué. La difficulté, c’est de définir ce socle de connaissances fondamentales, parce que cela revient à remettre en cause la place de certaines disciplines. Le corollaire de ce recentrage de l’école doit être l’engagement de l’Etat à ne laisser aucun élève quitter le système scolaire sans maîtriser ce socle. S’il faut, pour cela, prolonger la scolarité pour ceux qui ont besoin de plus de temps ou user de toutes les filières d’enseignement – général, technique, en alternance -, cela doit être fait.
Je souhaite que les élèves qui n’ont pas le niveau pour entrer en 6e accèdent à des classes de soutien avec un seul enseignant, dans le collège ou à l’extérieur du collège. En somme, c’est la fin du collège unique. Je suis pour un collège efficace qui garantit le socle et assume la diversité des parcours.
Nicolas Sarkozy hier, Jean-François Copé aujourd’hui clivent la société française. Vous prônez le rassemblement. Est-ce une ligne de partage importante pour un dirigeant aujourd’hui ?
Incontestablement, c’est une ligne de partage avec Jean-François Copé. Il est plus difficile de dire cela de Nicolas Sarkozy. Son quinquennat ne peut pas se résumer à la dernière semaine de la campagne présidentielle. Il a aussi donné lieu à des efforts de rassemblement.
On a tendance à l’oublier, mais Nicolas Sarkozy a accueilli des ministres socialistes dans son gouvernement. Sur beaucoup de sujets et à plusieurs reprises, il n’a pas hésité à prendre à revers sa famille politique. Lui aussi, il avait bien conscience de la nécessité de ce rassemblement. Son attitude contraste terriblement avec le sectarisme de son successeur, qui ne parle qu’à la gauche.
Sa remontée dans l’entre-deux-tours de la présidentielle est-elle due, comme certains le pensent à l’UMP, à la droitisation de son discours ?
Ce qui a permis à Nicolas Sarkozy de resserrer le score, c’est son énergie inégalable, et c’est la faiblesse de son adversaire. Ce n’est pas parce que François Hollande a gagné que l’on doit occulter le fait qu’il était de plus en plus flou au fur et à mesure que l’on approchait de l’élection. On en voit le résultat aujourd’hui.
A Matignon, vous avez plaidé pour une remise en question par les religions musulmane et juive de leurs « traditions ancestrales ». Que proposez-vous concrètement ?
La bataille entre la religion et la République est ancienne, celle entre la République et les catholiques a même duré deux siècles! La laïcité est un combat permanent. Ce n’est pas stigmatiser la religion musulmane que de lui demander de faire un effort comparable à celui que l’on a demandé aux autres religions.
Sur l’abattage rituel, une règle s’applique, celle de l’étourdissement de l’animal. Une exception a été accordée aux juifs et aux musulmans, qui n’a pas posé de problème tant qu’elle était une exception. Or l’exception est en train de devenir la règle, pour des raisons techniques ou financières. Le débat est nécessaire.
Plusieurs sondages montrent que les Français jugent l’influence et la visibilité de l’islam en France trop importantes. Comment réconcilier la République et l’islam ?
Pour la République, le problème n’est pas l’islam en soi, mais les intégristes islamistes qui veulent placer leurs dogmes au-dessus de nos lois. Sur ce point, il faut être implacable. Mais derrière cette question, ne tournons pas autour du pot, il y a le sujet de l’immigration, qui mine les Français. Depuis des années, nous ne sommes pas parvenus à le poser de manière franche et pragmatique, loin de la haine de l’extrême droite et de la fausse générosité de la gauche. La France est depuis toujours un pays d’immigration et, pendant longtemps, nous avons réussi à intégrer. J’ai employé le terme d’assimilation, car beaucoup d’étrangers qui se sont installés sur notre territoire sont devenus plus français que les Français.
Aujourd’hui, il y a un problème de nombre, qui se heurte à nos capacités économiques et d’intégration. Je propose un vote annuel au Parlement pour régler la question en fonction des capacités d’intégration de notre pays, comme au Canada. Cela me paraît une réponse plus intelligente que le slogan d’une immigration zéro qui est absurde, mais cela nécessite de poser la question des frontières et de l’efficacité de Schengen.
En cas d’alternance, vous avez envisagé lors du débat télévisé une remise en question de la loi prévoyant l’extension du mariage et de l’adoption aux homosexuels. En Espagne, la droite a fait la même promesse sans la mettre en oeuvre. Jusqu’où irez-vous ?
Si l’on est totalement hostile à une modification de la filiation, comme c’est mon cas, on ne peut pas se contenter de paroles. Il ne s’agit pas de remettre en cause des unions qui auraient déjà eu lieu, mais de séparer la question de la reconnaissance de l’amour homosexuel de la question de la filiation. Alors, oui, j’assume la remise en cause de cette loi! Cela me paraît plus cohérent que de dire qu’un maire n’applique pas une loi de la République et laisse faire ses adjoints.
Nous traversons une crise économique en passe de devenir une crise sociale. La prochaine étape, c’est la crise politique. Je suis inquiet pour la cohésion de la société française. La seule manière de redonner de l’espoir aux Français, c’est de redresser notre économie et de produire. En choisissant d’ouvrir des débats qui divisent profondément la société française, on ne fait que hâter l’arrivée de cette crise politique. Cinq mois après avoir remporté les élections, la gauche est déjà dans l’impasse et suscite une immense déception. Le risque est que les Français se tournent vers l’autre impasse que représentent les extrémistes, qui n’ont jamais permis dans l’Histoire à notre pays de se redresser.
Beaucoup d’élus UMP redoutent une dérive du centre de gravité idéologique du parti en cas de victoire de Jean-François Copé. Partagez-vous cette crainte ?
Oui, c’est une inquiétude que j’ai, fondée sur ses discours. Jean-François Copé considère que la bataille électorale se gagnera en durcissant le ton à droite. Cela peut se défendre dans un climat politique classique, pas dans un contexte de crise quasi existentielle.
S’il y a un moment où l’on a vraiment besoin de rassembler le peuple français, c’est maintenant! C’est une exigence morale, mais c’est aussi un gage de succès aux prochaines élections locales. Pour gagner les municipales, il faut rassembler la droite et le centre et incarner une espérance pour les Français. Je considère qu’aujourd’hui seul mon programme permet cette reconquête.
Vous président de l’UMP, appellerez-vous à des manifestations ?
Pendant cinq ans, avec Nicolas Sarkozy, nous nous sommes battus pour ne jamais céder devant la rue. Seule une menace sur les libertés fondamentales me ferait descendre dans la rue, comme, en 1984, pour défendre la liberté de l’école.
Vous président de l’UMP, donnerez-vous les moyens financiers aux motions d’exister et de s’exprimer ?
On me dit qu’il y a 40 millions d’euros de déficits, je ne sais pas de quels moyens financiers je disposerai si je suis élu. Je suis favorable au fait de donner des moyens d’expression et de travailler aux sensibilités qui ont toujours composé l’UMP. Je ne conçois pas l’UMP sans les centristes ou les libéraux. Ils doivent être respectés et peser dans le débat, tout comme les gaullistes. Je veux des débats d’idées, pas des écuries.
Pour réussir la synthèse des sensibilités, je propose une véritable révolution démocratique à l’UMP. Je veux organiser des référendums internes pour dégager la ligne politique de notre mouvement et conférer la plus grande légitimité à la voix de l’UMP.
En 2011, vous êtes allé voir Nicolas Sarkozy pour lui expliquer que vous ne seriez évidemment pas candidat contre lui, président sortant, en 2012. Ce raisonnement est-il aujourd’hui dépassé ?
En 2017, le président sortant s’appellera François Hollande! Je serai au côté de celui qui aura le plus de chances de faire gagner notre famille politique.
Qu’est-ce qui vous empêcherait de vous présenter à la primaire de 2016 ?
Je veux d’abord gagner l’élection à la présidence de l’UMP.
Êtes-vous plutôt de Gaulle ou Pompidou ?
Les deux. J’ai découvert la politique à 14 ans, avec de Gaulle. Il a sauvé la France du déshonneur, puis de la faillite, puis des politiciens. J’ai découvert Pompidou plus récemment, qui fut éminemment moderne.
Êtes-vous plutôt Chirac ou Sarkozy ?
Sarkozy depuis 2004. Chacun sait que lui et moi avions des différences, mais il avait une volonté de faire. Cet exemple d’un président qui ne recule pas restera un marqueur fort, une première depuis le début de la Ve République, de Gaulle mis à part.
Un mot pour qualifier François Hollande ?
Décevant.
Jean-Marc Ayrault ?
Insuffisant.
Jean-François Copé ?
Clivant.
François Fillon ?
Cohérent.
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