Les Entretiens de Royaumont -Dimanche 2 décembre 2012
Discours de François Fillon
Mesdames et Messieurs,
C’est avec beaucoup plaisir que je me joins, cette année encore, aux Entretiens de Royaumont, organisés par mon ami Jérôme Chartier qui a su faire de ce rendez-vous un vrai carrefour intellectuel.
Avec la question du travail, vous avez réuni des intervenants de haut niveau que je suis heureux de saluer, et vous avez choisi d’aborder une question centrale pour la France dépérit de ne pas pouvoir vivre en croissance depuis si longtemps.
Je n’aurai pas la présomption de chercher à définir le travail dans toutes ses dimensions. Il y a presque déjà un péché d’orgueil à aborder ce sujet dans un lieu aussi imprégné de règle bénédictine et de réforme cistercienne.
Mais je voudrais d’abord insister sur trois aspects du travail qui me paraissent fondamentaux : le travail est une valeur, c’est le nerf de la prospérité économique et c’est aussi l’un des plus puissants facteurs de lien social.
C’est d’abord, disais-je, une valeur et, disons-le, une valeur qui a fait la France.
Ce n’est pas un hasard si après deux guerres mondiales et tant de crises, la France reste la cinquième puissance mondiale. Ce rang, nous le devons au labeur acharné de générations de Français qui ont su bâtir notre nation, là développer, là reconstruire après chaque catastrophe.
Nous sommes tous issus de familles où le travail était quasiment un culte. C’était leur fierté, c’était leur identité même.
J’ai en tête les mots de Péguy sur le travail –qui était pour lui l’âme du peuple en 1880.
« On ne pensait qu’à travailler », disait Péguy des gens de son enfance. «C’était la racine profonde de leur être et la raison de leur être. Il y avait un honneur incroyable du travail, le plus beau de tous les honneurs…Et Péguy ajoute, « J’ai vu toute mon enfance rempailler des chaises exactement du même esprit et du même cœur, que ce même peuple avait taillé ses cathédrales…Ils disaient en riant, et pour embêter les curés, que travailler c’est prier».
Je cite ces phrases telles qu’elles sont écrites, en rappelant bien sûr que cet honneur chrétien que Péguy confère au travail était également, au plus haut point, un honneur laïque partagé par toutes les forces politiques et sociales de notre pays.
Je les cite aussi sans la moindre nostalgie. Car je ne crois pas une seule seconde que l’amour du travail se soit perdu. Il est toujours présent, même s’il a évolué – et vos débats l’ont souligné – dans ses pratiques et ses attentes.
Désormais, les entreprises ont majoritairement compris que leur rendement dépendait aussi de leur aptitude à tirer de leurs collaborateurs et salariés le meilleur de leur dévouement, de leur initiative, de leur participation à un objectif collectif.
Ceci exige de la part des dirigeants des nouvelles formes de gouvernance, et une attention permanente portée sur les hommes et les femmes qui servent leurs entreprises.
Longtemps, la France s’est distinguée par une organisation pyramidale et cartésienne du travail, à son image dirai-je…
Nous savons aujourd’hui, que l’action en réseau, la synergie des compétences, la mise en responsabilité de chacun constituent les meilleurs armes de la réussite.
Hier comme aujourd’hui, le travail reste une source de dignité et il est le nerf de la prospérité.
Il y a une vérité économique simple, que nous ne devrions jamais perdre de vue : le niveau de vie d’un pays et sa place dans le monde dépendent directement de sa capacité à produire des biens et des services, c’est-à-dire d’une combinaison de travail, de capital et d’innovation.
Encore les trois chainons de cette équation ne sont-ils pas égaux. Car le capital– que certains croient pouvoir surtaxer sans limites – n’est pas donné : c’est du travail épargné, accumulé, thésaurisé, solidifié au cours des âges–et c’est pourquoi nous devrions, en dehors de toute polémique, considérer le capital comme un bienfait et non pas comme un ennemi.
Et l’innovation, c’est encore du travail: c’est le travail des chercheurs, des inventeurs, des ingénieurs, des chefs d’entreprises, de tous ceux qui ont la passion d’aller plus loin et d’explorer de nouvelles voies.
Au bout du compte, tout nous ramène invariablement au travail, et tout nous rappelle que la puissance économique et l’équilibre social d’un pays dépendent directement de la place qu’il lui est accordé.
Un pays dont les usines tournent ne vit pas le chômage comme une tragédie mais comme une mutation. Un pays dont les entreprises exportent ne craint pas la mondialisation. Un pays qui crée des emplois transmet sa confiance à sa jeunesse. Un pays qui produit des richesses peut financer ses hôpitaux, ses écoles, offrir une protection sociale généreuse, investir dans l’enseignement et dans la recherche, faire tourner à plein le cercle vertueux du progrès.
Je ne crois pas à un monde sans travail, pas plus que je crois à la théorie de la décroissance.
Je n’y crois pas d’un point de vue moral, je viens de le dire, car je pense que l’être humain a besoin de s’accomplir et de se dépasser dans une activité qui sollicite sa force et son intelligence. Mais j’y crois encore moins d’un point de vue économique.
Je dénonce le dangereux mirage du partage du travail, car ça n’est pas en rationnant l’activité des uns qu’on crée l’activité des autres, et je combats l’illusion qui consiste à vivre à crédit ou à profiter des rentes de je ne sais quelle situation acquise. Il n’y a pas de richesse durable, pas de prospérité ni de puissance sans production ni réformes en continu !
L’actualité des dernières années est là pour nous le dire.
En l’espace de deux générations, nous avons vu la Corée du Sud passer du sous-développement au statut de puissance industrielle.
C’est un pays moins peuplé que la France, qui compte encore moins d’ingénieurs que nous, mais qui ne cesse de renforcer ses positions industrielles et son influence.
Plus près de nous, nous avons vu le rapport de force entre l’Allemagne et la France s’inverser à partir du moment où nous avons fait le choix de baisser la durée légale du travail alors que nos voisins adoptaient l’ensemble des mesures regroupées sous le terme d’agenda 2010. Eux que l’on croyait écrasés par la facture de la réunification, ils sont redevenus une économie forte, exportatrice, confiante dans ses atouts et dans ses perspectives d’avenir.
Ni les Coréens, ni les Allemands ne se regardent comme des générations sacrifiées qui auraient dû consentir un effort surhumain pour redresser leur pays. Ils marchent au contraire avec l’assurance de ceux qui sont engagés sur un sentier solide et prometteur. Ce qu’ils ont fait, nous devons le faire. Il en va, je le répète, de l’équilibre social, financier et républicain de notre pays :
– équilibre social, car sans production pas de richesses et sans richesses pas de solidarité;
– équilibre financier, car la lutte contre les déficits ne sera pas gagnée exclusivement par des coupes budgétaires ou des impôts, mais par la conquête de nouveaux marchés;
– équilibre républicain, parce qu’une société qui s’enfonce dans le chômage et l’inactivité perd ses repères éthiques et fraternels. La peur s’étend et les pires réflexes avec… Le chef d’entreprise devient un adversaire, l’investisseur un extorqueur, le voisin de palier un anonyme jalousé, l’étranger le bouc émissaire.
Bref, la porte s‘ouvre alors à tous les populismes : de celui qui veut fermer les frontières à celui qui veut rendre gorge aux patrons.
Evidemment, la question du travail ne peut être prise isolément. Elle s’intègre ou non, dans une stratégie politique et économique efficace.
Et cette stratégie n’est véritablement efficace que si, au préalable, la vérité est dite et partagée par le pays.
Et la vérité, je pèse mes mots, c’est que nous sommes sur la pente du déclin. La mécanique infernale s’est enclenchée il y a plus d’une vingtaine d’années, et nous y avons tous notre part de responsabilité.
Les politiques, qui sentaient ce qu’il fallait faire mais qui ne savaient pas comment gagner les élections en le faisant; les intellectuels qui ont passé plus de temps à théoriser des systèmes alternatifs plutôt qu’à analyser froidement le système dans lequel nous étions plongés; les syndicats qui ont conçu leur rôle autour de la défense exclusive des positions acquises sans anticiper les évolutions; les Français eux-mêmes qui, dans la lancée des 30 glorieuses, étaient tentés de demander «toujours plus, pour tous et à n’importe quel prix».
La crise a naturellement bousculé ces vieilles habitudes et nos certitudes. Encore que… Le fait que la France ait pu se choisir un Président qui n’a quasiment pas parlé de cette crise durant sa campagne, révèle toutes les ambiguïtés de notre pays face à un monde qui mute.
Tant que nous continuerons de croire que la mondialisation est une option et non une réalité qui change tout, alors, le déclin est inéluctable.
Face à nous, nous avons des pays immenses, doués et déterminés, qui sont en train de nous doubler dans tous les secteurs : celui de la production industrielle et manufacturière, celui de la finance, celui de la formation, celui de l’innovation et de la recherche.
Je ne prends aucun plaisir à jouer les cassandres, mais les faits sont là.
Quand nous nous battons pour sauver une entreprise, ces pays en créent mille. Quand nous diplômons 100.000 étudiants et ingénieurs par an, ils en forment un million.
Quand nous refaisons des 35 heures un tabou, ces pays travaillent 12 heures par jour pour fabriquer les produits et les services qui inonderont la planète.
Bref, le temps de la splendeur européenne est fini.
L’Asie, le Brésil, la Chine et quelques autres sont en train d’écrire l’histoire du XXIème siècle. Soit nous nous réveillons par une mobilisation globale autour du travail et de la production en jouant à fond la carte de l’Europe, soit nous mourrons à petit feu.
Face à cette réalité mondiale qui percute le modèle français, le premier reproche que j’adresse au gouvernement actuel, c’est d’avoir réintroduit le doute dans l’esprit de notre peuple.
Quand on revient de façon partielle à la retraite à 60 ans, quand on supprime la défiscalisation des heures supplémentaires qui motivaient les salariés, quand on relance la machine à recruter des agents publics, on ne prend pas seulement des mesures économiques à mon sens mauvaises, on laisse entendre au pays qu’il a encore les moyens et le temps de vivre comme avant.
Le cas de Florange, où le principe de la nationalisation a été ressuscité, est l’exemple même de cette illusion mensongère qui affaiblit notre pays.
Faire croire que l’Etat est la solution dans ces circonstances, c’est mentir aux salariés et c’est tromper les Français.
Le mensonge est à la fois économique, car la puissance publique n’est ni plus forte que la concurrence, ni meilleure actionnaire que les acteurs privés.
Le mensonge a également des répercussions sur le plan psychologique: répercussion pour tous les investisseurs étrangers, qui perçoivent alors la France comme une terre d’insécurité juridique; répercussion pour tous les Français qui sont portés à croire que l’Etat peut être appelé à la rescousse partout : après les aciéries, pourquoi pas ailleurs se diront nos concitoyens !
Je suis pour un Etat stratège et puissant là où il est utile, pas pour un Etat qui se prétend providentiel.
Il ne faut pas leurrer le pays sur les réalités que nous devons affronter avec lucidité, intelligence et courage.
On peut être pour ou contre le quinquennat que j’ai eu l’honneur d’assumer aux côtés de Nicolas Sarkozy, mais il est une chose qui est à mettre à son crédit : c’est que nous avons pris à témoin les Français sur la crise et sur les transformations qu’exigent les temps nouveaux.
Jamais nous n’avons laissé entendre que la France pouvait maintenir, ad vitam aeternam, ses acquis.
D’où les réformes des universités, des retraites, des heures supplémentaires, du service minimum, de l’Etat avec la baisse du nombre des fonctionnaires…
Toutes ces mesures furent difficiles, parfois incomplètes, souvent impopulaires, mais du moins elles étaient porteuses d’un message clair : celui de l’effort et de quelques sacrifices.
Tout ceci pour vous dire que la première donnée d’une stratégie économique efficace, c’est la vérité sans laquelle il ne peut pas y avoir d’élan national.
Bien sûr, nous ne sommes plus en 1945 où les Français avaient sous leurs yeux un champ de ruines qui leur commandait de se retrousser les manches…
Mais nous sommes dans une guerre économique, et j’ai trop le sentiment que nous cherchons vainement à nouer des armistices impossibles avec le monde difficile qui est le nôtre.
Si les Français ne sont pas mis en situation de comprendre et d’accepter qu’ils jouent leur survie, si le sentiment d’urgence ne les tenaille pas, alors aucun sursaut n’est possible.
Si notre peuple -nous disent certaines enquêtes- est l’un des plus pessimistes au monde, ça n’est pas parce qu’il manque de cran ou de talents, c’est parce qu’il n’a pas été accoutumé à l’idée que le changement pouvait être une opportunité et que le risque était moins dangereux que l’immobilisme.
J’ai la conviction que le premier devoir du responsable politique est de hisser la France au-dessus de ses frayeurs. Jacques Attali a écrit sur ce sujet des choses que je crois parfaitement pertinentes.
On nous a trop souvent appris à avoir peur de tout : de la nature lorsqu’elle tempête, de l’étranger qui tape à notre porte, du nucléaire, des OGM, du gaz de schiste, des mutations économiques…
Nous sommes tombés dans le chaudron de la précaution.
Ca n’est pas avec ce bagage là que nous affronterons ce siècle.
Comment pourrions-nous relancer la croissance, l’économie, conquérir des marchés nouveaux, parler avec d’autres civilisations, si on se satisfait de cette petite soupe de narcissisme et de paranoïa qu’on nous sert tous les jours.
Il faut retrouver le sens du risque et le goût des terres nouvelles vers lesquelles il faut s’aventurer.
Oui, notre premier devoir est de dire la vérité, de l’expliquer, de la faire partager par tous ; oui, notre devoir est d’inviter nos concitoyens au courage et à l’action… et tout ceci doit aboutir à créer un consensus autour de l’idée du redressement national.
Mesdames et messieurs,
Depuis près de vingt ans, nous vivons avec une moyenne de 1% à 2% de croissance, et avec un taux de chômage qui, même dans les périodes les plus fastes, n’est jamais descendu en dessous des 7%.
J’ai le regret de dire que le gouvernement actuel n’est absolument pas en mesure d’inverser les choses.
Nous allons vers la récession, et je ne vois à l’horizon aucune mesure de fond qui puisse y changer quoi que ce soit.
Tout le problème de la politique actuelle se résume à un choix que je crois préjudiciable: celui de faire porter l’effort de baisse des déficits sur les entreprises et les Français, plus que sur l’Etat lui-même.
Ce faisant, le moteur de l’investissement et donc de l’innovation est surtaxé comme jamais. Il ne faut pas s’attendre à des miracles avec la banque publique d’investissement, qui existe déjà, en parti dans les faits.
Le moteur de la consommation va être grippé par les 11 milliards d’impôts supplémentaires qui vont peser sur tous les ménages, et pas seulement sur les plus fortunés d’entre eux.
Le moteur de l’activité ne sera pas véritablement boosté par le crédit d’impôt compétitivité prévu pour baisser le coût du travail qui est pourtant une nécessité absolue. Sa complexité et les conditions qui risquent d’être mises à nos entreprises pour en bénéficier me paraissent contraires à l’idée d’un choc immédiat et global en faveur de la compétitivité française.
Quant au moteur de l’emploi, j’ai le regret de dire que nous sommes dans le cosmétique et dans des recettes utilisées mille fois. Les emplois aidés, avec les contrats d’avenir, sont des pansements sur une jambe de bois. Quant au contrat de génération, je crains –et je ne fais là que reprendre les propos de Martine Aubry – un immense effet d’aubaine.
Reste la négociation engagée par les partenaires sociaux sur la flexsécurité.
Je ne veux pas préjuger de ses suites, mais le risque est grand que cette négociation, comme celle de 2007 avec la rupture conventionnelle, n’aboutisse qu’à des demi mesures, ou pire à de fausses avancées.
Pourquoi dis-je cela ?
Parce que les partenaires sociaux, et notamment les représentants patronaux, sont tétanisés à l’idée de voir le législateur s’emparer du sujet. Dès lors, tout concourt pour un petit accord qui ne changera pas en profondeur l’organisation de notre marché du travail.
J’espère me tromper, mais je ne prends pas beaucoup de risques à vous dire que la politique économique actuellement menée ne se distingue ni par son originalité, ni par son allant.
Quelle politique alternative proposer ?
C’est le rôle d’une opposition crédible d’y réfléchir et d’avancer des pistes, car ça n‘est pas avec des coups de mentons que nous retrouverons la confiance des Français.
Nous avons un travail de fond à mener, avec nos concitoyens, avec les milieux professionnels, avec les intellectuels.
Plus que jamais, l’UMP, mon parti, doit être, lui aussi, un carrefour intellectuel où tous ceux qui nous soutiennent mais aussi tous qui nous ignorent ou même nous critiquent doivent pouvoir échanger leurs convictions avec nous.
Je crois que l’urgence de la situation économique commande une thérapie de choc pour concrétiser un objectif simple et vital: il faut produire plus !
Et pour produire plus, je ne connais pas d’autre moyen que de travailler plus, de négocier plus, de nous former mieux, et enfin, de dépenser moins.
Il faut sortir des conceptions malthusiennes du partage du travail qui ont conduit à la persistance d’un chômage structurel. Le retrait des seniors du marché du travail ne crée pas de l’emploi pour les jeunes; pas plus que la baisse autoritaire de la durée du travail ne crée d’emplois à moyen terme.
C’est en travaillant davantage, par semaine mais également sur la vie avec l’allongement des durées d’activité, que nous pouvons restaurer notre compétitivité, garantir le financement de notre protection sociale, mais aussi diminuer l’intensification des rythmes de travail provoquée par le resserrement des périodes d’activité, du fait des 35 heures et des départs précoces du marché du travail, qui a contribué à détériorer les conditions de travail.
Bref, il faut sortir du « modèle » français qui concentre l’emploi sur les 25-55 ans et réduit les durées de travail. On en voit les deux effets pervers:
– premier effet : l’exclusion des jeunes et des seniors du marché du travail, donc des potentiels humains mis à l’écart, cette mise à l’écart étant une charge pour les actifs;
– second effet, une intensification du travail pour ceux qui ont un emploi, une forte productivité horaire qui se paie en détérioration des conditions de travail et provoque ce symptôme très français de la souffrance au travail et du désir de partir en retraite rapidement.
Devant ce constat, je ne vois pas d’autre solution que de desserrer les contraintes sur la durée du travail.
Je propose d’abroger les 35 heures pour nous remettre au niveau de nos partenaires européens.
En plein milieu de la crise, j’avais suggéré à Nicolas Sarkozy de trancher le sujet. En définitive, nous avons choisi de réformer les retraites et de faire sauter le symbole des 60 ans. A tort ou à raison, nous avons estimé que la société française ne pouvait pas accepter deux réformes aussi lourdes.
Donc, je propose la suppression de la durée légale de 35 heures, avec la liberté contractuelle de fixer, au niveau de l’entreprise, une durée du travail dans la limite de la durée maximale européenne.
Le calcul de l’allégement de cotisation devrait s’opérer à partir d’une durée de 39 heures, et en tout cas supérieure à 35 heures.
Certaines de nos entreprises trouveront intérêt à rester aux 35 heures, d’autres trouveront peut-être intérêt à aller en deçà en fonction des circonstances ou au-dessus en fonction des carnets de commande… ce qui importe c’est que la liberté et la négociation de terrain puissent répondre aux réalités économiques !
Cette souplesse donnée à la négociation d’entreprise, m’amène logiquement à défendre le principe des accords de compétitivité.
En permettant aux entreprises de conclure des accords de maintien de l’emploi en échange de baisses de salaires ou d’avantages salariaux ou encore d’une plus grande mobilité des salariés, il s’agit de leur donner les moyens de s’adapter aux variations conjoncturelles.
Je mesure parfaitement les craintes que peuvent soulever chez les salariés ce type de mesures…
Mais il faut savoir ce que l’on veut : si nous voulons produire en France, sauver nos industries et sauver des emplois, il faut ouvrir le champ réglementaire qui cadenasse le travail et privilégier la négociation d’entreprise par rapport à la négociation par branche ou au niveau national.
Parallèlement, il faut dynamiser le marché du travail.
Quel doit être notre objectif ? Protéger les personnes plus que les emplois, et pour cela il faut donner à chaque salarié le pouvoir de rebondir en cas de perte de leur travail.
Rebondir, c’est être formé.
Il faut remplacer l’indemnisation du chômage par l’indemnisation de la formation pour tous les demandeurs d’emploi.
Chaque chômeur doit pouvoir choisir une formation le qualifiant pour un métier ouvrant sur des débouchés, et une fois formé, il doit avoir l’obligation de prendre un travail pour échapper au piège de l’assistanat.
Cela réclame une réforme de fond de notre système de formation professionnelle. Elle demandera un grand courage car il faut rompre avec les chasses gardées des organismes de formation et des partenaires sociaux et il faut une rationalisation drastique des compétences entre Pole emploi, régions, missions locales.
Dès lors qu’un système de formation puissant et personnalisé serait concentré sur les demandeurs d’emploi, la logique est de rendre notre système d’assurance chômage plus incitatif à la recherche d’emploi, notamment avec des prestations chômage dégressives.
Evoquant la formation, je ne puis éluder la question de notre système éducatif qui est en amont de tout.
Notre système souffre de trois maux :
– l’émiettement des savoirs qui sont transmis à nos jeunes. Sur ce point, il faut avoir le courage de concentrer les efforts sur un socle commun de connaissances;
– l’uniformité du collège qui bride la diversité des talents et des appétences ;
– quant à nos universités, elles ne sont qu’au début d’une mutation qui doit les amener à travailler en relation permanente avec les bassins économiques et professionnels qui les environnent.
Toutes ces réformes pour oxygéner le marché de l’emploi doivent aller de pair avec une nouvelle étape dans la modernisation du dialogue social.
Ca n’est pas d’aujourd’hui que je crois à la nécessité de changer la France par le terrain. Au ministère des affaires sociales, j’avais – avec l’appui de François Chérèque– instauré le principe de l’accord majoritaire afin de responsabiliser les syndicats.
Je crois au dialogue social car on ne bâtit pas une économie efficace sur les décombres de la cohésion sociale. J’y crois parce que tout ne peut plus être piloté par l’Etat. J’y crois, parce qu’en tant que gaulliste, j’estime que le renforcement de l’unité nationale et le renforcement du corps social français vont de pair.
Aujourd’hui, aller plus loin dans la démocratie sociale, c’est revoir le mode de financement des syndicats dans un souci de transparence, c’est donner plus de pouvoirs aux représentants des salariés, et c’est réformer la représentativité des organisations patronales.
Renforcer la représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises : j’y suis plutôt favorable dès lors que cette représentation s’accompagne de vraies réformes du droit du travail. Car dans le cas contraire, elle apparaîtrait comme une nouvelle contrainte et porterait préjudice à la compétitivité et l’attractivité du pays.
Réformer la représentativité patronale : c’est la suite logique de la réforme de la représentativité syndicale de 2008 qui a notamment introduit l’audience électorale comme critère essentiel de représentativité.
Dans mon esprit, il n’est pas question de mettre des règles analogues mais il est nécessaire de clarifier les critères de représentativité patronale afin de tenir compte des TPE, des PME, de l’économie sociale.
C’est aux organisations patronales de faire des propositions, et ainsi d’accroitre leur légitimité.
Voilà, Mesdames et Messieurs, certaines des pistes que je crois nécessaires pour relancer la production et le travail en France.
Bien d’autres sujets sont évidemment en jeu : celui des investissements du futur pour élargir le champ de nos activités, celui de la sur-réglementation pesant sur nos entreprises, et je pense ici aux seuils qui figent l’emploi; celui des filières qui doivent fédérer grandes entreprises et PME ; celui des exportations où nous pêchons par un manque d’entreprises de taille moyenne…
Je ne m’y arrête pas, car je veux conclure sur deux thèmes fondamentaux qui commandent notre redressement national.
Pour que la France travaille plus pour elle-même et un peu moins pour l’Etat et pour rembourser ses déficits, il faut baisser nos dépenses publiques et remettre nos finances en ordre.
En 2007, j’avais indiqué être à la tête d’un Etat en faillite.
Certains s’étaient moqués, d’autres m’avaient conjuré de passer sous silence ma conviction: un pays qui dépense plus qu’il ne gagne, est un pays moralement faible, économiquement vulnérable et socialement suicidaire.
Avec Nicolas Sarkozy, nous avons pris le sujet à bras de corps, en divisant par deux le nombre des recrutements de fonctionnaires, en gelant puis en réduisant chaque année les dépenses de l’Etat, en faisant sauter le symbole des 6O ans qui menait nos retraites à la ruine.
Contre les déficits, le gouvernement actuel ne réduit pas les dépenses de l’Etat, il augmente les impôts. C’est un choix qui n’ira pas loin.
Il faut près de 80 milliards d’euros pour rééquilibrer nos finances publiques.
Je propose une triple règle d’or qui cadenasse tous les budgets le temps qu’il faudra: règle d’or pour l’Etat, règle d’or pour les collectivités territoriales, règle d’or pour la sécurité sociale qui doit tenir ses dépenses, mais aussi mener une lutte implacable contre la fraude.
Il faut mettre nos finances en ordre et il faut faire de l’Europe la puissance mondiale qu’elle n’est toujours pas.
Je ne suis pas un euro béat. Je sais parfaitement les inquiétudes et le scepticisme qui entourent l’Union européenne.
J’ai voté contre le traité de Maastricht, parce que je doutais qu’on puisse avoir une monnaie qui ait la même valeur à Athènes qu’à Berlin.
Aujourd’hui, je pourrais triompher, en disant que je n’avais pas tort.
Je ne le fais pas. Car depuis, il y a eu la montée en puissance de l’Asie et le déclin de nos économies.
Nous sommes 65 millions de Français dans un monde concurrentiel de 7 milliards d’habitants.
7 milliards, mais nous avons un atout : les 500 millions d’européens qui sont les gardiens d’une civilisation magnifique qui a encore son mot à dire dans l’Histoire.
Ceux qui à l’extrême droite militent pour le retour au franc, sont hors sujet. Et ceux qui pensent qu’en sabordant l’Europe on remettra à flot la France, sont tout juste bon pour piloter le Titanic.
L’intérêt national commande d’être européen !
Je milite pour une Europe robuste, plus musclée dans ses institutions et plus solidaire dans ses actions.
Cela ne se fera pas à 27 Etats.
Cela se fera autour d’une Union Franco-Allemande sans laquelle rien ne marche en Europe.
Cela se fera autour d’un gouvernement économique de la zone euro, capable de décider, capable d’harmoniser les stratégies économiques, budgétaires, fiscales et sociales du noyau dur européen.
Et puis, il faut en finir avec la naïveté européenne.
La Chine, les Etats Unis, travaillent pour leurs intérêts.
Il est temps de travailler pour les nôtres, en créant des champions industriels européens, en exigeant la réciprocité dans le commerce international.
Bref, l’Europe doit devenir une place forte qui offre une protection à ses entreprises. C’est une question de survie pour l’Europe et pour la France dont les destins sont mêlés.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les réflexions et les convictions que je voulais partager avec vous.
J’ai débuté mon propos en vous parlant de la vérité que nous devons aux Français. Je le conclurai en vous disant que cette exigence de vérité passe aussi par les partis politiques.
Chacun de vous sait que l’UMP est dans une passe difficile.
C’est le résultat d’une élection interne qui a été parsemée de zones d’ombres.
J’ai refusé de me taire car le premier parti d’opposition doit se montrer exemplaire dans son fonctionnement.
Je mesure parfaitement la déception des adhérents et des militants de l’UMP, mais je leur pose une question simple : vaut-il mieux pour notre mouvement la clarté ou l’omerta, la transparence ou le silence ?
La transparence peut faire mal, mais le silence sur cette élection nous détruirait assurément. Aux yeux des Français, elle détruirait notre crédibilité, notre légitimité, notre honneur.
Je n’en suis plus à me demander qui a gagné où qui a perdu, et il ne m’importe plus de savoir à qui la faute si cette élection a si mal tournée…
Depuis le début, je dis que pour sortir de l’impasse, il faut redonner la parole aux militants. Il faut là redonner rapidement et dans des conditions d’organisation indiscutables.
C’est le bon sens même ! Interrogez n’importe quel Français, et il vous dira en haussant les épaules que l’UMP n’a qu’à revoter.
J’observe aujourd’hui que plus personne ne remet vraiment en cause le principe d’un nouveau vote. Mes soutiens bien sûr le disent. Mais aussi de plus en plus ceux qui n’avaient pas pris parti dans cette élection, et même certains de ceux qui ne m’ont pas soutenu le murmure de plus en plus fort.
Oui, le bon sens, c’est de revenir à la démocratie. Qui peut être contre le bon sens et contre la démocratie ? Qui peut sincèrement prétendre que dans la situation actuelle il est absurde ou illégitime de se tourner vers les militants ?
Une majorité de nos adhérents et de nos sympathisants nous demandent maintenant de dépasser le passé pour sortir par le haut de cette impasse. Ils ont évidemment raison d’en appeler à un nouveau vote.
Il nous faut nous mettre d’accord sur ses modalités, qu’à cela ne tienne !
Mes équipes sont prêtes dès demain, lundi, à se réunir avec celles de Jean François Copé pour réfléchir ensemble à ces modalités. Et si cette solution ne convenait pas, il faudrait réunir sans attendre le Comité des Sages prévu par nos statuts.
Je n’ai toujours demandé qu’une seule chose, que ce vote ne puisse être entaché de suspicions et qu’il soit le reflet fidèle de la volonté exprimée par nos militants. C’est la moindre des choses au regard de ce qui s’est passé.
Dès lors que nous aurons l’assurance que ce vote pourra être organisé et piloté dans des règles d’impartialité indiscutables et dans un délai raisonnable, nous mettrons fin au groupe parlementaire que j’ai créé et aux procédures qui ont été engagées.
80% de nos sympathisants demande un nouveau vote, de toutes nos fédérations les appels se font de plus en plus pressants, alors mettons-nous au travail dès demain !
Voilà, j’ai dit ce que je croyais nécessaire pour redresser notre nation, et j’en ai profité pour dire ce qui est nécessaire pour relancer l’UMP.
Dans mon cœur, ces deux sujets ne sont pas si éloignés que cela, car je ne dissocie pas l’avenir de mon parti de l’avenir de notre pays.
Merci à vous tous de votre attention.
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