À l’invitation de l’Emir du Qatar Skeikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, François Fillon participe au 13e Forum de Doha se tenant du 20 au 22 mai. Il est intervenu lors de la session d’ouverture sur le thème « Perspectives on Regional Peace, Stability and Development ».
En marge du Forum, François Fillon a entre autres rencontré l’Emir du Qatar, le Premier ministre du Qatar, le Premier ministre de Tunisie, le Président du Sénégal
XIIIème FORUM DE DOHA
INTERVENTION DE FRANÇOIS FILLON
Majesté
Monsieur le Premier ministre
1 ) Le forum que vous accueillez, pour la treizième fois ici à Doha, se tient cette année dans un contexte international difficile.
– Les transformations dans le monde arabe continuent de connaître une phase chaotique, en Egypte, en Libye, en Tunisie ;
– Le déclenchement il y a deux ans, le conflit syrien confirme aujourd’hui son potentiel déstabilisateur pour toute la région. Nous savons que des armes continuent à être livrées de part et d’autre. La tentation du régime de Bachar Al-Assad est d’exporter le conflit hors des frontières, et notamment dans ce pays ami de la France qu’est le Liban ;
– Pendant ce temps, l’Iran poursuit son programme nucléaire. Le terrorisme continue aussi à tous nous menacer. Les Français le savent mieux que tout autre. Il y a un mois, notre ambassade à Tripoli était visée par un attentat. La semaine dernière, c’est la police égyptienne qui a annoncé avoir démantelé un groupe s’apprêtant à viser notre ambassade au Caire ; venons de subir une attaque contre notre ambassade à Tripoli
– Mais c’est aussi l’Europe qui est en difficulté. Nous nous sommes mobilisés, et Gordon Brown au premier rang d’entre nous, à partir de 2008, pour éviter que ne s’ouvre une crise financière généralisée. Nous y sommes sans doute parvenus. Mais la croissance s’est heurtée au mur de la dette et des réformes trop longtemps retardées. Aujourd’hui, c’est l’heure de la crise économique, avec des économies au bord de la récession.
2) Face à ces défis, deux voies sont possibles : celle du repli, du protectionnisme, de l’unilatéralisme ; en face, celle du dialogue entre les civilisations et de la régulation internationale des enjeux globaux. La question n’est pas théorique. Les deux grandes puissances hésitent : à Washington, la tentation du désengagement du Moyen-Orient et du continent européen est de plus en plus perceptible ; à Pékin, une nouvelle équipe dirigeante vient de se mettre en place, dont nous ne connaissons pas encore les intentions.
Vous avez développé, ici au Qatar, un modèle exemplaire. En l’espace de quelques années, vous avez ancré votre choix du multilatéralisme. Vous comptez parmi ceux qui s’impliquent sur les grands enjeux globaux, la régulation financière internationale, le changement climatique ou encore l’aide au développement. Bien entendu, cela suscite quelques critiques. Mais la voie que vous avez choisie – celle de conserver votre identité tout en faisant le choix du dialogue des civilisations et du dialogue interreligieux – est la seule possible. Ce facteur religieux est essentiel à la compréhension de notre monde.
Pour l’avenir, nous avons un devoir de lucidité. De grandes négociations multilatérales débutent actuellement – que ce soit pour préparer la conférence internationale de 2015 sur le climat ou de nouveaux accords de libre-échange, comme celui entre l’Union européenne et les Etats-Unis. 2013 sera donc une année-charnière. Mais aussi une année à grands risques pour la communauté internationale :
– c’est une perception très forte en France, où nous avons eu le sentiment d’être seuls lorsque nous sommes intervenus au Mali. Je n’ignore pas les interrogations qui ont alors été celles de la communauté internationale. Il y avait urgence, pour éviter que ce pays ne tombe aux mains de groupes terroristes. Rares sont ceux qui ne le reconnaissant pas aujourd’hui ;
– mais notre défi le plus immédiat, c’est maintenant de mettre fin au drame que vit le peuple syrien et d’empêcher l’extension du conflit hors des frontières. On parle depuis quelques jours d’organiser une conférence internationale sur le modèle de celle de Genève il y a un an. Il est temps. Son organisation s’annonce difficile. C’est pourtant la dernière chance. Il faut la saisir pour que l’opposition syrienne et ceux du régime qui n’ont pas de sang sur les mains se parlent. Il faut aussi la saisir pour engager dans la résolution de ce conflit la Russie, dont le rôle est essentiel pour faire pression sur Bachar Al-Assad.
3) Il faudra avoir le courage de la réconciliation. Les Français ont, avec leurs voisins allemands, une expérience unique. Nous nous sommes fait la guerre tout au long de l’histoire, en 1870, en 1914, en 1939. Ce sont pourtant ces anciens ennemis qui ont construit l’Europe. Non en affichant de grandes ambitions. Mais petit à petit, en mettant en place, dès les années cinquante, des solidarités concrètes dans des domaines précis : la production de charbon et d’acier, une politique agricole commune, un marché commun. Nous n’avons pas de leçons à donner, mais seulement une aventure historique à méditer. Les peuples du Moyen-Orient ont aussi bien des intérêts en commun, la protection de l’environnement, la sécurité alimentaire ou encore la gestion durable des ressources en eau.
Cette aventure franco-allemande a un demi-siècle : nous célébrons cette année le cinquantenaire du traité de coopération signé entre nos deux pays. Elle est plus indispensable que jamais, alors que le projet européen est en crise, que la solidarité se fissure et que la tentation de la renationalisation des politiques gagne du terrain.
Dans les circonstances actuelles, j’ai la conviction que la France et l’Allemagne doivent à nouveau donner l’exemple et franchir une nouvelle étape. J’ai proposé que soit créée entre nos deux pays une véritable confédération écoomique, avec une intégration plus poussée et des règles fiscales équivalentes. Nous avons besoin en Europe d’un noyau dur, pour accélérer la mise en place d’une vraie coordination des politiques économiques, avec une harmonisation fiscale et un espace bancaire uni. Cette nouvelle impulsion est nécessaire pour que le projet européen regagne la confiance de nos citoyens.
L’Europe se cherche, elle hésite sur la voie à suivre : celle du courage et de l’intégration pour défendre la civilisation européenne et pour convaincre le monde de continuer le chemin vers la liberté, le progrès et le respect de chaque être humain. Ou bien du repli sur soi, des tentations nationalistes qui conduiraient à son effacement.
Si j’évoque pour conclure cette question existentielle à laquelle l’Europe fait face, c’est parce que la réponse que nous lui donnerons ne sera pas sans conséquences sur l’évolution du monde.
Telles sont, Majesté, Monsieur le Premier ministre, les quelques réflexions dont, vu de France, je souhaitais vous faire part.