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Se reconnaissant en Pompidou, l’ex-Premier ministre au flegme anglais se retrouve en situation de conquérir l’UMP.
Il rêve parfois d’une autre carrière. «Ecrivain à succès», par exemple. «Quelle jouissance cela doit être de créer, d’être totalement maître de son projet. Dépendant de rien, sauf de ses lecteurs.» Ce qui séduit François Fillon, c’est «le mode de vie» que cela implique. La solitude de l’écrivain, il en a fait la furtive expérience en 2006, quand il s’est lancé dans la rédaction de son manifeste pour une rupture avec le chiraquisme. Il a «beaucoup aimé» ces semaines passées à écrire dans sa vaste gentilhommière de Solesmes, sur les bords de la Sarthe. Il allait faire ses courses au Leclerc de Sablé-sur-Sarthe, savourant les regards interrogatifs de ses anciens administrés. Qu’est-ce qu’il fait là, tout seul, se demandait-on. Sa femme l’aurait quitté ? Son épouse Pénélope était à Paris où sont scolarisés les plus jeunes de leurs cinq enfants. Née Clarke dans un petit village du pays de Galles, elle se décrit comme une «paysanne», plutôt «terrifiée» à l’idée qu’on pourrait la reconnaître quand elle se promène en ville. Elle porte sur le monde politique un regard sévère et suggère qu’il devienne «obligatoire» pour les hommes politiques de pousser de temps en temps un chariot au supermarché. Roselyne Bachelot, l’une des rares intimes du couple, ne tarit pas d’éloge sur cette «femme extraordinaire» sans qui, selon elle, Fillon ne se comprend pas. «Il est très famille», témoignent ses proches. A Matignon, il racontait qu’interrogé à l’école sur la profession du père, le petit dernier, Arnaud, répondait à sa maîtresse que son papa «réparait les ordinateurs» à la maison. L’anecdote suggère que le Premier ministre consacrait vraiment du temps à sa famille. François Fillon ne mêle pas l’amitié et la politique. Jamais il n’irait, comme Jean-François Copé, se prévaloir d’une solidarité de «mousquetaires» – «Un pour tous, tous pour un» – avec ses partenaires de l’UMP. Ces choses-là se cultivent en famille.
S’il trouve le temps, il écrira sur celui dont il a approché le record de longévité : Georges Pompidou, six ans Premier ministre. Un vieil ami a ressorti pour lui des comptes rendus de «Conseils restreints» à l’Elysée où ont été décidés, sous la présidence du successeur de De Gaulle, les arbitrages qui allaient construire la France moderne. «Nucléaire, Airbus, TGV : ces trois décisions sont prises dans le même Conseil», raconte Fillon, admiratif. Un demi- siècle plus tard, ce fils d’un notaire et d’une historienne se verrait bien reprenant ce flambeau, si la crise devait rendre possible un nouvel âge d’or de la politique industrielle. «Je me reconnais dans l’approche de Pompidou : refus des idéologies, mais aussi de la démagogie et des petites cuisines électorales», explique le député de Paris dans le Point. Avec cette interview, il posait discrètement l’acte fondateur d’une «désarkozysation». Il se disait «plus pragmatique et plus serein» que Nicolas Sarkozy, et se faisait fort d’aller «plus loin» que lui dans les réformes. Les réactions ne furent pas moins indignées que celles des gardiens du temple gaulliste, réagissant à la fameuse «déclaration de Rome» par laquelle Pompidou se déclarait, en juillet 1968, candidat à la succession. Le Sarthois se retrouve dans le parcours de l’Auvergnat, porté par «les circonstances» bien plus que par l’ambition. Il juge indécente l’idée même qu’on puisse se construire un plan de carrière politique.
François Fillon est lucide : il se donne un peu plus de chance de devenir président de la République qu’écrivain à succès. Exercer le pouvoir, il n’a jamais rien fait d’autre. Et il y a pris goût, s’y reconnaissant, comme Pompidou, un certain talent. Cinq ans Premier ministre, sept ans ministre, quatre ans président de région, six ans président de conseil général, vingt-six ans député,dix- huit ans maire… : voici sans doute, mine de rien, l’une des plus belles carrières de la république. Il a tout fait. Sauf président. Ce serait donc pour 2017. En attendant, il faut se faire élire à la tête de l’UMP. Il s’en serait bien passé. Mais pas moyen d’y échapper. Si on lui laisse le parti, Copé le verrouilleur ne laissera personne lui barrer la route de l’Elysée.
Conquérir le pouvoir. François Fillon s’y emploie donc, en s’appuyant sur une expérience limitée. Les«circonstances» lui ont été si souvent favorables qu’il a rarement eu à éliminer ses concurrents pour accéder aux plus hautes fonctions exécutives. «Il croit en sa bonne étoile», dit Roger Karoutchi, l’ancien compagnon de route séguiniste. «C’est vrai, j’ai de la chance. Il y a eu, dans ma vie, une succession de rencontres et d’événements qui m’ont fait faire des choses passionnantes.» Enfant gâté de la politique, le jeune Fillon se voyait plutôt journaliste, c’est dire qu’il n’était pas spécialement dévoré d’ambition.
Philippe Séguin, l’ombrageux député des Vosges, repère en 1982 son jeune collègue de la Sarthe. Il en fait l’un de ses principaux lieutenants. C’est la chance de sa vie. Celle qui rendra possible, dix ans plus tard, sa précoce promotion gouvernementale. Dans l’éloge funèbre de son mentor, prononcé devant l’Assemblée nationale, Fillon, Premier ministre, célèbre celui qui croyait «au pouvoir du verbe qui conduit l’action» et au «respect de l’intelligence dont est capable tout un chacun pour peu qu’on la sollicite». De cet hommage, il a fait un plaidoyer pour son abstinence médiatique. «Nous n’avons pas des choses nouvelles à dire matin, midi et soir. A force de nous voir partout, les téléspectateurs finissent par nous mettre dans le camp des saltimbanques», affirme- t-il. Citant Séguin, il oppose à la«médiacratie» «le temps long de l’argumentation raisonnée». Ce qui lui vaut, croit-il, d’être l’homme de droite préféré des Français.
François Fillon fait de beaux discours. Même ses plus féroces détracteurs le reconnaissent, tout en soulignant ce qu’il doit au talent de sa «plume», le fidèle Igor Mitrofanoff qui ne le quitte pas depuis plus de vingt ans. Pour que se révèle en lui le tribun insoupçonné, il aura fallu qu’une circonstance le bouscule : au printemps 1999, Philippe Séguin démissionne brutalement de la présidence du RPR. Le député, et maire de Sablé-sur-Sarthe, décide alors, sans demander la permission, de briguer sa succession. Il se présente «en homme libre».
Dès lors, il ne sera jamais plus le lieutenant de personne. Surtout pas celui de Sarkozy dont il se décrit comme le «partenaire», dans une «alliance» libérale-séguiniste scellée en 2004. «Sarkozy n’est pas mon mentor», lâchera-t-il tranquillement, alors que certains, dans son entourage lui conseillaient de quitter Matignon et de prendre sans plus tarder son envol, poussé par des sondages flatteurs. François Fillon le raisonnable ne les a pas écoutés. Les «circonstances» ne seront réunies qu’avec la défaite de Nicolas Sarkozy.
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