Monsieur le Président,
Madame le Ministre,
Mes chers collègues,
«Présider la République, c’est refuser que tout procède d’un seul homme, d’un seul raisonnement, d’un seul parti»: voici les mots du candidat François Hollande, prononcés au Bourget, en Janvier 2012.
A l’évidence, ce projet de loi contredit cette proclamation.
Il procède de la volonté du Président de la République qui a choisi de passer outre les centaines de milliers de manifestants opposés à ce texte.
Qui a choisi d’ignorer les inquiétudes exprimées par les représentants des cultes.
Qui a choisi de négliger l’avis de l’Académie des sciences politiques et morales.
Qui a choisi de ne pas s’en remettre au référendum.
Bref, qui a choisi seul, avec sa majorité, d’imposer un changement profond du droit de la famille et de la filiation.
Hier, le parti socialiste accusait le Président Sarkozy d’autoritarisme et il ne ménageait pas son soutien à tous ceux qui battaient le pavé contre mon gouvernement.
Aujourd’hui, il goûte au pouvoir présidentiel et majoritaire et conteste celui de la rue.
Contrairement à la gauche, je n’ai jamais critiqué les prérogatives du Chef de l’Etat, mais ceci dit, je regrette de les voir utilisées de façon discrétionnaire, sur un sujet sensible qui aurait mérité une approche pragmatique et rassembleuse.
Le projet gouvernemental devait, nous disait-on, susciter le consensus.
Eh bien il n’y a pas consensus !
Les centaines de milliers de Français qui ont manifesté le 13 janvier dernier n’étaient ni des extrémistes, ni des passéistes, ni des idéologues.
Est-il nécessaire de préciser qu’on peut être contre le mariage pour tous et combattre l’homophobie, qui est une injure faite à la dignité qui entoure chaque être humain.
Dois-je aussi préciser que l’on peut être favorable à ce projet et respecter les arguments de ceux qui ne le sont pas, et réciproquement.
Mieux vaut le préciser, car le débat actuel a fait resurgir des tensions, parfois détestables.
Sur les réseaux sociaux, une violence malsaine gronde.
Homophobie d’un côté, anticléricalisme de l’autre: toutes ces dérives qui mutilent notre fraternité sont inquiétantes.
Je dis au gouvernement «prudence». Et je dis au Président de la République qu’il n’agit pas dans un contexte serein. Nous sommes en crise, et autour de nous les repères s’effritent.
Les risques de rupture existent, et son devoir est d’assurer la concorde de la nation.
Il ne doit pas laisser les Français se dresser les uns contre les autres sur des sujets de société qui précisément réclament une pédagogie du rassemblement.
Pourquoi cette question du mariage homosexuel ne fait-elle pas l’objet de plus de précaution ?
On ne peut à fois prétendre que ce texte de loi constitue une «réforme de civilisation» et agir avec précipitation, sans au surplus donner la parole au peuple.
On ne peut offrir aux maires «la liberté de conscience» – c’est-à-dire la capacité pour un agent de l’Etat de refuser d’appliquer une loi de la République ! – et légiférer avec insouciance.
Si François Hollande a cru bon d’évoquer devant les maires cette liberté de conscience, c’est bien que l’affaire est grave. Et si l’affaire est grave c’est qu’il y a un problème de fond qui ne sera pas réglé en quelques semaines au Parlement.
Quel est le problème ?
Il est que ce projet de loi remet en cause le cadre juridique et social du mariage qui structure la société et la filiation depuis des siècles.
On me rétorque que cette conception du mariage se heurte aux mutations de notre temps.
Je ne suis pas dans un déni de réalité car je sais qu’il y a des situations de fait que le législateur doit résoudre.
Je ne m’érige pas non plus en juge car je ne doute pas des capacités d’affection et d’éducation d’un enfant par un couple homosexuel ou encore par une femme ou un homme seul.
Ce souci d’assumer la réalité sans la juger ne me conduit pourtant pas à accepter le principe d’une égalité totale des droits.
Les citoyens sont égaux, ce qui n’implique pas que les situations entre couples homosexuels et couples hétérosexuels soient totalement égales.
Beaucoup de choses ont été dites par mes collègues sur ce sujet, et je veux juste insister et alerter nos concitoyens sur un point que le slogan de l’égalité dissimule: celui du « droit à l’enfant».
Si le principe d’égalité est suffisant pour le gouvernement pour justifier de chambouler l’institution du mariage, s’il est suffisant pour relativiser le bien-fondé de l’altérité et élargir le droit à l’adoption, alors il sera rapidement considéré comme suffisant pour accorder aux couples de femmes l’assistance médicale à la procréation.
Nous touchons ici à une question très profonde.
Car un enfant conçu par ce procédé au sein d’un couple de femmes, ou par une femme seule, pourra-t-il réparer ce double manque: celui de ne pas savoir d’où il vient et celui de ne pas avoir de père qui l’élève ?
Sur l’extension de la PMA, le Président de la République a saisi le Comité national d’éthique.
C’est sage mais bien tardif et c’est au demeurant vain, car j’ai cru comprendre que sur ce sujet la majorité socialiste était largement prête à franchir le pas dans quelques mois.
Une fois ce pas franchi – au nom de l’égalité toujours ! – les couples d’hommes ne manqueront pas d’exiger le droit à la gestation pour autrui.
Beaucoup la réclament déjà et certains n’ont pas hésité à y recourir à l’étranger.
Ce jour-là, quel argument le gouvernement leur opposera-t-il ?
Celui de l’inégalité ? Surement pas puisqu’il fait de l’égalité des droits le fil directeur de son projet !
Celui de l’interdiction de marchander son corps ?
Naturellement cet argument sera avancé, mais il sera rapidement démonté par qui vous convaincront que le recours à une mère porteuse est aussi «estimable» que le recours à la science et à un tiers donneur anonyme.
Ils évoqueront les quelques exemples étrangers où la PMA est ouverte à tous, et certains dénonceront le vide juridique qui entoure leur enfant né ainsi hors de nos frontières.
Sur ce point Madame la Ministre, votre circulaire qui facilite l’acquisition de la nationalité française pour les enfants nés de mère porteuse est, d’une manière ou d’une autre, une brèche vers la légalisation de la gestation pour autrui.
Les partisans de la GPA s’y engouffreront, et tous ne manqueront pas de reprocher à la France d’être à la traine du «progrès».
Que n’a-t-on dit et exigé au nom du progrès sans se poser la seule question qui vaille: vers quel monde courons-nous et pour quel humanisme ?
Ceci pour dire, qu’au nom de l’égalité, le gouvernement ouvre une boite de pandore, et croyez-moi, il sera difficile de la refermer.
Ceux qui me rétorquent que les ruptures fondamentales de la PMA et de la GPA, ne sont pas à l’ordre du jour, seront les mêmes qui dans quelques temps affirmeront que le «droit à l’enfant» est respectable.
Car oui, derrière le mariage pour tous, il y a le droit à l’enfant pour tous et par tous les moyens.
Aujourd’hui, la majorité nous dit qu’il n’en est rien.
Mais très bientôt, je ne doute pas que pour légitimer ce nouveau droit les motifs les plus généreux et les plus sincères seront alors employés: dont celui de vouloir avoir un enfant et de l’aimer.
Une fois encore, le poids des sentiments imposera sa loi.
A ceux qui pensent que j’anticipe des évolutions qui ne sont pas inscrites dans ce projet, je rappelle qu’en 1999, le PACS nous était présenté par le gouvernement socialiste comme l’étape législative ultime de l’union entre deux personnes du même sexe.
Jamais, nous disait-on, le législateur n’ira ni ne devrait aller plus loin ! Jamais ?
Par délicatesse, je ne citerai pas toutes les phrases prononcées dans cet hémicycle par l’ancienne Garde des Sceaux, chargée de faire voter le PACS.
Son opposition au mariage homosexuel et à l’adoption était sans ambiguïté et elle concluait son propos avec une formule qui résonne étrangement dans notre hémicycle : «Je n’ignore pas –je la cite– le procès d’intention sur un éventuel «après » de cette proposition qui préparerait des évolutions plus fondamentales de notre droit. Je m’élève avec la plus grande énergie contre de telles insinuations.»
Voilà les mots d’hier qui nous disaient «jamais».
Une décennie plus tard, ce qui était formellement refusé en 1999 est officiellement accepté: le mariage est ouvert aux couples homosexuels avec l’adoption.
Cette course ne s’arrêtera pas en chemin et il ne faudra pas longtemps pour voir la majorité s’accommoder de la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui qui sont les «horizons naturels» de ce projet de loi.
Il n’est nul besoin de se livrer à un procès d’intention pour envisager ce scénario. Il est seulement la conséquence logique d’une quête effrénée de l’égalité absolue; la conséquence du «tout pour tous».
Avec ce projet de loi, nous entrons donc dans une spirale dont les répercussions risquent d’être lourdes, et il est bien présomptueux de penser que nous pouvons légiférer sans avoir la main qui tremble.
La querelle qui nous divise est d’autant plus regrettable qu’il existe une voie pragmatique pour avancer ensemble, de façon consensuelle.
En disant «non» au mariage pour tous, l’opposition ne dit pas «non» à des évolutions juridiques ciblées, elle ne dit pas «non» à la reconnaissance que recherche les couples homosexuels car chacun est libre de vivre sa vie amoureuse sans être défié ni jugé par les autres.
Nous pouvons travailler à un PACS renouvelé, renforcé de droits nouveaux.
Sur la base d’une nouvelle forme d’Union Civile, il répondrait aux attentes des couples et ne bouleverserait pas les cadres du mariage et de la filiation.
Je crois, Mes chers Collègues, que le gouvernement n’a pas pesé toutes les incidences juridiques, sociales et éthiques de son projet.
Ce projet divise la France au moment où elle devrait être rassemblée, et il pose les jalons d’une société où le droit et le désir des adultes passeront avant ceux des enfants.
Les Français qui s’opposent à ce texte de loi ne sont pas entendus. Ils étaient pourtant des centaines de milliers à descendre dans la rue pour défendre leur cause.
Inutile de les compter ou de les recompter… Ils sont de toute façon très nombreux et ils sont, à leur façon, les portes parole d’une tradition qui n’a pas fini d’être moderne.
Aujourd’hui, la responsabilité de l’opposition est de relayer leur voix, car cette France que le gouvernement n’écoute pas doit être respectée.
Notre responsabilité est aussi de parler clair.
La PMA et la GPA sont des lignes rouges.
Le flou des réponses du gouvernement sur ces sujets révèle la faiblesse de ses convictions.
Si ces lignes rouges étaient franchies, il est du devoir de l’opposition d’avertir qu’à l’heure de l’alternance – car il y aura alternance – nous réécrirons la loi pour stopper cette dérive car elle consacrerait une régression de notre conscience humaine.
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